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Les sons du silence

 

Nous avons l’habitude d’associer le silence au calme, et de lui attribuer une définition unique qui serait le contraire du bruit. Le silence comme absence de quelquechose. Or, de cette absence naît une présence. Le silence peut se manifester sous de multiples formes et exprimer tant de choses. Il peut être agréable, doux, reposant, ou bien inquiétant, angoissant ou même violent. Il peut être rassurant, bienveillant ou bien au contraire gênant, déstabilisant. Gai, triste, léger ou pesant. Le silence, à travers toute sa subtilité mêlée de puissance, peut nous pousser dans des sentiments totalement contraires et extrêmes. Dans cette situation de confinement, je retrouve les diverses atmosphères que le silence peut créer et les sensations qui en découlent.

Je redécouvre parfois le plaisir d’entendre et même d’écouter. Ecouter les bruits environnants. Habitant à Paris, j’ai pris l‘habitude d’être bercée par un bruit de fond permanent, et avec le temps je suis devenue de plus en plus sensible à la pollution sonore. Aujourd’hui, j’ai migré vers un petit village, alors je peux à nouveau goûter au silence, ce silence paisible de la nature qui reprend sa place.

Et pourtant, je perçois bien la différence sonore entre l’avant confinement et maintenant. Les sons ambiants ne sont plus les mêmes. Bien qu’ici le le flux des voitures n’ait biensûr jamais été incessant, on entendait malgré tout des voitures passer, se garer, des portières claquer, des personnes marcher. On entendait des éclats de voix ici et là, des enfants rire, pleurer, ou courir un peu trop loin et leur maman criant de les attendre. On entendait des personnes discuter, s’interpeller, des « attends-moi !», « j’arrive !», des « bonjour» et des « au-revoir». On entendait la vie, ou du moins la vie humaine. Aujourd’hui, rien de tout cela. Parfois une voiture, mais très peu de voix. Si je croise une personne, elle est presque systématiquement seule ou accompagnée d’une seule autre personne, et c’est comme si ces binômes devaient chuchoter pour ne pas rompre le silence du confinement. Un moment à deux, certes, mais dans le respect de la distanciation générale.

Le confinement fait ainsi resurgir un silence particulier, un silence envahissant, révélateur d’une situation anormale. Un silence lourd de sens, qui exprime une gravité. Un silence qui affirme sa présence et veut se faire entendre. Cela me fait penser au film “Melancholia” de Lars von Trier, où le silence règne avec toute son intensité, présage de la fin du monde, ou encore à cet incroyable film de Jeff Nichols, “Take shelter”, où un père de famille construit un abri pour se protéger d’une tornade. Alors même si je n’en suis pas venue à sentir un silence apocalyptique, j’ai parfois ressenti des sensations, aussi furtives soient-elles, qui m’ont évoqué ces scènes de films.

Dans cette distanciation silencieuse, j’autorise mes oreilles à être grandes ouvertes. Les bruits se faisant de plus en plus rares autour de moi, je suis devenue attentive à chaque son à l’intérieur de la maison : un crayon qui tombe par terre, un verre que l’on déplace sur la table, un cahier que l’on ferme, un livre dont on tourne la page où que l’on pose sur la table basse. Ce livre que l’on a posé à même la table ou sur un autre livre ne produira pas le même son. Agréables ou pas, ces sons se détachent et se différencient, et je les écoute.

On pourrait imaginer un jeu qui s’intitulerait “Qu’entends-tu ?”. Ce serait le “Qui est-ce” du son. Entend-on un saladier en inox, en verre ou en porcelaine ? Des couverts en bois, en acier, ou en plastique ? Un couteau lisse ou cranté ? La porte du four ou du frigidaire ? Une mine qui raye d’un coup net un mot, ou un mot souligné à la règle ? Chacune de nos actions produit un son, et aucun ne se ressemble. Une main qui se déplace en glissant sur le papier, un coup de ciseaux, le tapotement des touches du clavier d’un ordinateur, une prise que l’on branche…la liste est longue. Dans cette pièce de vie qui est la nôtre, où la cuisine est ouverte sur le salon et où la table de la cuisine fait office de bureau pour les enfants, mais aussi de plan de travail pour cuisiner, tous les sons s’entremêlent et s’entrechoquent.

Ces bruits que j’entends en journée semblent décuplés, comme si on était la nuit. Qui n’a jamais connu ce moment où, marchant sur la pointe des pieds dans le silence absolu de la nuit, pour ne réveiller personne, réalise à quel point le moindre mouvement révèle systématiquement un son auquel il ne s’attendait pas, jusqu’à retenir son souffle ! Je n’ai certes pas besoin d’aller jusqu’à faire de l’apnée, mais je me suis déjà surprise, en journée, à entendre mes mouvements comme s’ils étaient amplifiés par cette situation que nous vivons. Au supermarché, dans cette conscience collective qui implique de toucher le minimum de produits, chaque geste compte et se fait entendre.

Il y a les bruits qui restent confinés, et ceux qui se répandent au delà des frontières. Un deux-roues vient brusquement déchirer le silence ambiant : c’est une mobylette. Elle résonne sur des kilomètres, alors je ris intérieurement en me disant qu’on est nombreux à l’avoir entendu, ce bruit-là !

Heureusement, voilà que resurgissent les plus beaux sons qui soient, ces sons annonciateurs du printemps qui est déjà bel et bien présent : les chants des oiseaux. Ces sons-là sont joyeux et me font du bien. Qu’ils piaillent, qu’ils pépient ou qu’ils gazouillent, c’est amusant d’entendre tous ces oiseaux communiquer, se répondre, s’interrompre puis soudainement reprendre le fil de leur discussion, ou bien en recommencer une autre, qui sait !

Ils sont la preuve que la vie est là et suit son cours, imperceptiblement et imperturbable. Tous les jours en fin d’après-midi, les abeilles viennent butiner dans un magnifique massif de fleurs, et offrent un véritable ballet à travers un va-et-vient incessant et sous des bourdonnements entêtants.

J’observe également de près un petit plant de fleurs que je vois évoluer de jour en jour. Chaque jour, dans la plus grande discrétion, un bourgeon s’ouvre, un peu, beaucoup puis pleinement, laissant éclore de superbes pétales. L’une d’entre elles s’est fanée il ya quelques jours, puis deux, puis trois. La nature ne nous attend pas pour s’épanouir et poursuivre son cycle. Elle n’a pas besoin de nous pour répondre à ses besoins profonds et se transformer sans cesse, indéfiniment. Dans cette trêve qu’on lui offre, malgré nous, la nature est en paix et déploie toute sa beauté, dans un somptueux silence.

Je fais partie de ceux qui aiment les détails et s’y attachent. Je fais partie de ceux qui s’exclament et s’émerveillent face à de petites choses. Ces petites choses qui représentent la grandeur de la nature, la grandeur du vivant. Ma fascination et mon admiration resteront éternelles. En regardant de près, ce sont de véritables oeuvres d’art, fragiles mais habiles, toujours surprenantes de grâce et de délicatesse.

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juliette costeComment